Paroles et sanglots d'un père
Famille,
proches, amis, connaissances…, rien ne laissait imaginer que nous
serions rassemblés aujourd’hui, si tôt dans sa vie, pour dire notre
douleur incommensurable de devoir quitter à jamais Pierrot.
Sensation d’irréel, d’incrédulité. Mots de détresse qui sonneront toujours de travers.
Ce
qui nous unit, par-delà la cruauté de cette mort inconcevable, c’est la
part du feu intérieur que Pierre a versé en nous, et qui nous l’a fait
aimer profondément.
Sa disparition, injuste et brutale, fracturera pour toujours nos propres destinées.
Jamais notre sentiment à l’égard de la vie ne sera plus le même.
la tête haute
Pierre a traversé ces trop fugitives années avec la rage d’en tirer le meilleur, en offrant le maximum de lui.
Il l’a fait avec ses proches. Il l’a fait dans ses diverses tâches professionnelles et dans ses passions artistiques.
Pierre
a toujours visé l’intensité des sentiments.
Il a toujours cherché la perfection, attentif aux autres dont il apprenait, mais ne comptant que sur lui-même pour réussir.
Il a toujours cherché la perfection, attentif aux autres dont il apprenait, mais ne comptant que sur lui-même pour réussir.
Pierre ambitionnait l’inaccessible, ne s’épargnant aucune peine pour s’en approcher.
La médiocrité, la superficialité, la demi-mesure, l’excuse facile n’avaient aucune part à son esprit.
Il ne jugeait pas les autres, sans précaution ni mesure.
Il dédaignait le jugement des autres à son égard, quand il était porté par la jalousie ou la malveillance.
Pierre a toujours eu la tête haute. Et nous sommes fiers de l’avoir connu.
enfant aimé
La naissance de Pierre est un fruit de l’amour.
Une fabuleuse complicité. Entre une mère et son fils. Entre un père et son fils.
«Les
bras, papa… !» Allers et retours, crèche, école, câlins, cartable sur
le dos. Main dans la main, pour ces trajets de banlieue.
Paris,
le métro, le Vieux Campeur, le bateau-mouche, le musée de l’Armée aux
Invalides, le musée du Louvre… Ce n’est pas rien d’être fils de
professeur.
À jouer imprudemment sur le socle de la Victoire de Samothrace au Louvre, tu as gardé une trace au front. Rien de démotivant.
Car des escapades plus périlleuses, tu en as accomplies plus tard…
Au
Louvre, toujours, la galerie des Primitifs italiens, celle de la
Renaissance puis des grands romantiques français. Peut-être le déclic de
tes peintures futures ?
Mais avec ton style et tes techniques.
Tes parents, mon fils, ont tenté d’enchanter un peu ta vie quotidienne.
Pendant
les vacances, c’était plus évident. La Creuse, ses bruyères, la forêt,
les moutons derrière une clôture au crépuscule, les ballades juchées sur
les épaules…
Un enfant a-t-il plus confiance en son père qu’à cet âge ?
L’Ardèche, la vallée de la Maurienne, le ski à Meyronnes.
Devenu homme, tu as élargi ton horizon : Bruxelles, l’Allemagne, Barcelone, Budapest, le Portugal…
Car si un fils doit à sa mère, si un fils doit à son père, il se fait lui-même.
Il y a de la vérité dans cette phrase du poète libanais Khalil Gibran, même si elle est quelque peu excessive :
«Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles du désir de la vie pour elle-même».
Pierrot avait un insatiable désir de vivre.
Il
a su rapidement embrasser l’existence avec aplomb, avec l’instinct
qu’il fallait y jeter fougue et vérité, en sachant qu’elle ne lui
donnerait que ce que sa force et sa détermination iraient chercher.
Sa
mère, son père, l’ont aimé sans retenue. Et si leur séparation l’a
intérieurement blessé, il n’en a jamais rien laissé paraître, ni formulé
le moindre reproche.
Au contraire, il nous a gratifiés d’un amour filial jamais démenti.
Pierrot terminait toujours une rencontre ou une conversation par «Je t’aime Maman», «Je t’aime Papa».
escalade et graff
Enfant, il a goûté très tôt le sport, et notamment l’escalade.
À
l’âge de dix ans, il montait les yeux bandés, le mur d’escalade de
Valmeinier, dans les Alpes. Plus tard, il a installé un mur d’escalade
dans sa propre chambre, causant l’admiration de ses amis.
L’escalade, métaphore de sa vie.
Pierre savait que rien ne s’arrache sans effort, sans assurance des échelons gravis, sans les yeux rivés sur la prochaine prise.
Pourquoi l’ascension a-t-elle pris fin si prématurément, mon fils ?
Pierre était fort, parfois dur. Mais aussi d’une sensibilité exacerbée.
Dans l’élan qui le portait vers ceux qu’il aimait.
Dans
le domaine de l’esprit également. Ses compétences artistiques se sont
épanouies dans des dizaines, des centaines de compositions murales à la
bombe aérosol.
Il
a écrit, à ce sujet, un court texte magnifique, d’une grande poésie,
que ceux qui ont partagé sa passion – et les autres – liront toujours la
gorge serrée.
La
durée de vie de ces fresques étant aléatoire, Pierrot, comme tous les
peintres de l’art urbain, les fixait sur photos dans des albums qui en
assuraient la pérennité.
Il avait le sens de la permanence et de l’éphémère. Le refus du laid et le désir du beau.
Il offrait à la tristesse de la géographie urbaine du nord de Paris, l’enjouement de la couleur et une calligraphie onirique.
rires et cendres
Le
déchirement et les pleurs qui nous accablent aujourd’hui, ne doivent
pas nous faire oublier que Pierre était joyeux, qu’il avait le rire
communicatif, que nous avons été heureux avec lui.
Je
ne sais comment nous allons vivre désormais, sans son amour, sans sa
chaleur, sans son rire, sans son incroyable énergie, sans ses étreintes,
sans son idéal…
Le
regret de lui survivre va frapper d’amertume et infliger un goût de
cendres à chacune des voies qui seront les nôtres dans les années qui
viennent.
Mais il faudra nous remémorer toujours son souvenir, et ce qu’il aurait répliqué face à un instant de faiblesse de notre part.
Un père n’enterre pas son fils ! Il maudit le sort de n’être pas à sa place.
Pierrot, quand avec Bouchra, tu es venu nous voir à Saint-Chamond, à la fin août, il y eut un moment de grâce… où tu t’es endormi sur mon épaule. Comme un enfant. Comme mon enfant.
Pierrot, quand avec Bouchra, tu es venu nous voir à Saint-Chamond, à la fin août, il y eut un moment de grâce… où tu t’es endormi sur mon épaule. Comme un enfant. Comme mon enfant.
Je t’aime mon fils ! Je t’aime mon Pierrot !
Comme t’aiment tous ceux qui, ici, te pleurent à jamais.
Comme t’aiment tous ceux qui, ici, te pleurent à jamais.
Ces
terribles derniers jours, tous autour de toi, nous avons pleuré, nous
avons prié, nous avons espéré que l’improbable miracle se produirait,
que ta force et ta jeunesse l’emporteraient sur l’absurde et arbitraire
fatalité.
En vain.
Nos paroles se perdaient déjà dans le silence de ton cerveau meurtri.
Aujourd’hui, selon tes vœux, ton corps va se consumer. Les vents l’emporteront.
Mais
tous les êtres que tu as côtoyés, tous les lieux que tu as fréquentés,
tous les rêves que tu nous as confiés, te rappelleront à nous sans
cesse.
Va mon fils ! Que le terme de cette ultime ascension te soit doux et serein.
Notre amour t’accompagne, Pierrot. Comme celui de ton petit frère Émile (10 ans) et de ta petite soeur Clémence (7 ans).
À la mort de sa mère – mais cela vaut plus encore pour la mort d’un fils – l’écrivain Marcel Pagnol disait :
«Le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l’eau celle des moulins (…)
Telle est la vie des hommes. Quelques joies très vite effacées par d’inoubliables chagrins.
Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants».
Aujourd’hui, c’est mon enfant que la mort m’a confisqué à jamais.
Et que commence l’inoubliable chagrin.
Ton papa.
5 novembre 2014
crématorium de Villetaneuse/les Joncherolles
crématorium de Villetaneuse/les Joncherolles
Allocution d’hommage à Pierre RENARD
Les mots ne suffiront pas, mon Pierrot.
Notre tristesse est immense et les mots ne suffiront pas pour l'exprimer ; Mais ils essaieront de dire, un peu, notre histoire.
Tu es mort à l'âge de 34 ans. Nous sommes tous bouleversés par le chagrin.
Nous
pensons à tout ce que nous aurions pu te faire découvrir et partager,
et ce vide soudain, la désolation de ton absence nous remplit de
tristesse.
C'est
comme si les souvenirs perdaient leur sens, perdaient leur
signification de la promesse d'avenir qu'ils portaient avec toi et pour
toi.
Pour
moi, pour ceux de ma génération, je crois, je ressens ta perte comme un
morceau de futur qui disparaît, un repère du futur qui s'efface, car tu
étais un être en devenir, tu étais l'avenir encore à écrire : notre
avenir. Nous voilà orphelins, nous qui t'avons pourtant précédé dans
cette vie.
Ton
image, ton souvenir vont nous habiter et demeurer en nous : ils nous
saisissent soudain à l'improviste à n'importe quel moment de la journée.
La brutalité et l'injustice de ta disparition vont continuer à nous
heurter et nous hanter. La douleur, elle vient de cette collision entre
l'évidence et l'inacceptable de ta disparition.
le flou de la photo n'empêche pas l'expression certaine d'un bonheur,
le 1er janvier 2005, aux Pavillons-sous-Bois
Ta disparition nous prive de ton amour, et elle nous prive de la possibilité de l’amour que nous voulions continuer à te porter, à te témoigner pour continuer à te faire grandir. Ce sont là des mots banals, entendus dans d'autres circonstances, mais aujourd'hui ils nous touchent dans notre chair, ils s'inscrivent avec douleur dans nos esprits.
Nous
voilà amputés d'une partie de nous-mêmes. Et quand nous regardons le
ciel, les arbres, quand nous ouvrons les volets le matin, l'horizon
n'est plus le même.
Cette
absurdité brutale d'une vie abrégée par un accident, cette violence
inadmissible, nous ne pouvons l'accepter. Ta mort est la pire injustice
que tu puisses subir. C'est la pire des injustices pour ta mère et ton
père. Pour tous tes amis et ta compagne.
Cette
injustice nous plonge dans une cruelle détresse, comme si elle voulait
nous dire que tes 34 ans écoulés n'avaient servi à rien. Nous refusons
cette idée.
Nous ne laisserons pas la mort bafouer totalement l'espoir de ta jeunesse !
Pierre,
je me réjouissais de voir en toi comme une sorte de grand frère pour ta
cousine, Aude, de voir votre amitié. Complices dans la rigolade, vous
l'étiez, et tu avais un bel humour qui nous faisait tous franchement
rire : tes mots, tes réparties fulgurantes, ton esprit caustique
mettaient tout le monde de bonne humeur.
La valeur n'attend pas le nombre des années, petit Pierre devenu grand, tu nous l'as bien démontré.
Nous nous rencontrions rarement, mais un peu plus souvent ces dernières années et j'admirais ta force de caractère et ton courage, ton esprit de résistance et ton ardeur au travail.
Tu avais forgé toi-même ton chemin pour construire ta vie d'une manière que tu voulais farouchement indépendante.
Nous
n'étions pas d'accord sur tout, sur la vision de la société, sur le
sens du combat social, mais nous aimions, je crois, en discuter
passionnément.
Tu
étais tenace, opiniâtre, quelquefois obstiné. À un point qui pouvait
aller jusqu'à l’entêtement ! - et là, je reconnaissais mon frère
Michel, ton père ! Mais tu as été plus loin que lui, plus loin que moi,
et sur d'autres chemins.
Mais n'est-ce pas le rôle des enfants d'aller au-delà de ce que leurs parents ont découvert ?
"La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l'ennemi" a dit Picasso à propos de sa fresque Guernica.
Dans
notre univers télévisuel borné, dans ce monde médiatique atrophié qui
colonise notre imaginaire, Pierre et ses camarades ont écrit dans les
marges de cette normalité imposée et ils ont réinventé un langage pour
la contester.
Avec
tes copains, tes amis du graff, vous avez parsemé de vos images les
murs de nos villes, et ces fresques nous interpellent, avec ces symboles
mystérieux pour le profane. Elles interrogent le rôle de l'image que
les pouvoirs en place ont toujours voulu contrôler.
Ton graff, c’était ton acte de résistant. Une résistance qui me parle.
Les
mots ne suffisent pas, mon Pierrot, les images non plus, mais les uns
et les autres sont ce qui nous reste pour te garder à jamais dans nos
mémoires.
Denis Renard
oncle de Pierre
5 novembre 2014
oncle de Pierre
5 novembre 2014
Merci Denis, mon frère, pour cet hommage d'une puissante humanité. Je retiendrai cette phrase d'amour lucide : "Les mots ne suffiront pas, mon Pierrot"...
Tu m'as bouleversé en prononçant ces mots. Comme je t'ai vu ébranlé
lors des obsèques de Pierre et des allocutions successives. Je t'aime,
mon frère.
Témoignage de Bumi
«Salut Bumi. Comment ça va ? Tranquillou ?»
C’est
par ces mots au téléphone que Pierrot annonçait qu’il allait passer, ou
tout simplement prendre des nouvelles. Quelques fois, c’était aussi
pour proposer de changer d’opérateur téléphonique pour des raisons assez
obscures mais dont l’essentiel était que cela lui rendait service pour
son travail.
Quand
Pierrot passait, c’était toujours l’occasion de câliner les chats de
Laurence et d’obtenir des ronronnements en retour. Mais du coup, pour
éviter la crise d’asthme il fallait prévoir Aerius ou Zyrtec
disponibles. Autant il aimait les chats, autant il était allergique à
leurs poils. Et chez nous, des chats il y en avait quatre. C’est vous
dire.
Serviabilité
et gentillesse. Ce n’étaient sans doute pas les seules qualité de
Pierre, mais ce sont les premières qui me viennent à l’esprit. Il était
toujours disponible pour déménager un meuble, aider pour un bricolage,
surtout avec moi qui ai deux mains gauches.
Je
veux, ici, rappeler sa présence pendant la maladie de Laurence. Il
passait quand il pouvait, prenait régulièrement des nouvelles.
Alors perdre la vie à 34 ans dans un accident de la route. C’est à la fois injuste et bouleversant.
Pierrot, tu es parti trop tôt. Tu avais encore bien des choses à vivre et à accomplir.
Où
que tu sois aujourd’hui, pour moi tu es avec Tata Lolo et ses chats que
tu peux caresser sans prendre de cachets, car pour reprendre le mot du
philosophe, «le véritable tombeau des morts, c’est le cœur des vivants».
Permettez-moi, pour finir, de vous lire un extrait d’un poème amérindien :
Quand je ne serai plus là, lâchez-moi !
Laissez-moi partir
Car j’ai tellement de choses à faire et à voir !
Ne pleurez pas en pensant à moi !
Soyez reconnaissants pour les belles années
Pendant lesquelles je vous ai donné mon amour !
Vous ne pouvez que deviner
Le bonheur que vous m’avez apporté !
Je vous remercie pour l’amour que chacun m’a démontré
(…)
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur !
Je ne suis pas loin et la vie continue !
Si vous en avez besoin, appelez-moi et je viendrai !
Philippe Moraud, dit Bumi
oncle de Pierre
5 novembre 2014
oncle de Pierre
5 novembre 2014
Hommage de Max
Ton seul défaut, têtu comme pas possible.
Tu auras tenu tête douze jours à la faucheuse. Ta plus grande qualité : un
vrai ami, fiable et toujours présent peu importe le motif et le moment. Mais
sur ça, j’ai aujourd’hui des doutes. Tu nous as tous laissé tomber quelque
part. Ce sera pour ma part mon seul reproche en près de quatorze ans d’amitié
profonde et vraie. Même Vincent est sorti de sa torpeur pour prendre de tes
nouvelles. Sandro et Switch, Youssef, Paul, Mika, Samy et tous ceux qui m’ont
contactés.
Je vais t’avouer une chose mon ami,
aujourd’hui on peut tout se dire. J’ai eu peur quand je t’ai vu le premier jour
dans cette chambre que tu ne sois plus jamais comme avant. Et encore plus que
tu me demandes de te libérer. Un jour je t’ai dit que tu ne me verras jamais
pleurer, j’ai tenu ma parole mais depuis je me suis rattrapé comme jamais. Je
ne suis pas triste, je suis cassé. Encore plus quand je repense à cette photo
où je suis avec toi et Abdel sur un pont en Ardèche, une des plus belles
périodes que j’ai connue.
Aujourd’hui je n’ai que 34 ans mais il ne
reste que moi comme témoin de celle-ci. Nous avons formé une équipe, et pendant
un certain moment nous avons presque même réussi à être des Wild Child. Toi pas assez et moi trop,
toujours cet équilibre.
On avait tant de choses encore à vivre
ensemble. Pour le coup je ne regrette rien de tout ce qu’on aura vécu tous les
deux, sauf peut-être de ne pas avoir su te persuader de revenir avec moi un peu
dans la course.
Je ne suis pas croyant, je pense pas qu’on
se verra là-haut mais par contre tu seras auprès de moi pendant de longues
années j’espère. On ne se voyait pas assez ces derniers temps mais on se dit
toujours que ce sera une période.
Tu avais besoin de sortir de cette
ornière, tu allais y réussir, c’est d’autant plus triste. Je trouvais que la
vie allait devenir compliquée, mais en cet instant je ne m’inquiète plus de
rien. Tu es parti mon ami.
Le guerrier, c’était toi. Merci d’avoir
accepter mon amitié.
Tu es parti avec ta passion et les
passions c’est ce qui donne du sens à la vie, ce qui nous fait avancer.
Max
Hommage de Christophe
Pierre
appartenait, appartient et appartiendra toujours à une très grande
famille - le nombre de personnes présentes aujourd'hui en témoigne -,
membres de sa famille, proches, amis ou graffeurs.
Pierre était quelqu'un de généreux qui donnait beaucoup sans jamais attendre de recevoir.
Il savait tirer le meilleur de nous-mêmes, il était pour beaucoup une locomotive, nous tirant vers l'avant, nous rassemblant.
Je voudrais citer le poète africain Binago Diop :
"Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit.
Les morts ne sont pas sous la terre :
Ils sont dans l’arbre qui frémit,
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans la case,
Ils sont dans la foule.
Les morts ne sont pas morts."
C'est
pourquoi, aujourd'hui, nous nous devons de lui rendre hommage : "il
faut honorer la mémoire du défunt afin qu'elle s'inscrive durablement
dans la mémoire collective. Les funérailles honorent le départ", selon
Raymond Johnson.
Sophie
tient à ajouter cette parole : "Tu vivras en nous, dans nos coeurs,
dans nos pensées, dans notre âme. Nous penserons toujours à toi".
Christophe, ami graffeur de Pierrot, et Sophie,
dont les filles, Eya et Nyssa, considéraient Pierre comme leur "tonton"
dont les filles, Eya et Nyssa, considéraient Pierre comme leur "tonton"
________________________
Pierre et les autres
Pierrot, 2 septembre 2010 : travail d'artiste pour la chambre de sa petite soeur Clémence
(pose d'un pochoir)
9 novembre 2009, métro Concorde à Paris, en route vers les studios télé de France Ô
pour le livre Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?
un mot de Pierrot, septembre 2009
septembre, 2009, musée des Beaux-Arts à Lyon, dialogue par-delà le temps,
avec le peintre Paul Chavanard (1807-1895) sculpté par Jean Gautherin en 1887
________________________
Pierrot enfant, de la naissance à l'âge adulte
le 3 avril 1983, Pierre et René, son arrière-grand-père paternel à Orléans, avec un jeu de cartes animalières
le 3 avril 1983, Pierre et Aimée Renard, son arrière-grand-mère paternelle à Orléans,
dans l'atelier de son arrière-grand-père
le 3 avril 1983, Pierre et Aimée Renard, son arrière-grand-mère paternelle
à Orléans, dans la cuisine
mai 1983, à Noisy ; lecture avec Papa - je lui lisais des histoires à deux ans et demi...
J'aimerais bien qu'il me parle de là où il est... qu'il me raconte la suite... si il en existe... (déc. 2014)
Je le câlinais à un peu moins de trois ans quand il s'endormait sur son
papa.... je l'ai caressé à 34 ans dans un lit d'hôpital quand la mort
avait fixé ses griffes sur lui...
Mais je t'aime mon fils, à trois ans ans comme à trente-quatre ans ans, comme après... si il y a un après...
En tout cas, toute ma vie je t'aimerai comme un segment de moi-même, comme une part de mon propre destin... Et, seule, ma propre mort mettra un terme à ta vie en moi...
Mais je t'aime mon fils, à trois ans ans comme à trente-quatre ans ans, comme après... si il y a un après...
En tout cas, toute ma vie je t'aimerai comme un segment de moi-même, comme une part de mon propre destin... Et, seule, ma propre mort mettra un terme à ta vie en moi...
août 1983, dans la Creuse, le paysan Maurice fait mine de verser du vin dans le verre de Pierrot âgé de moins
de trois ans ; Maurice est mort le 11 octobre 2012 (à 83 ans), Pierrot le 22 octobre 2014 (à 34 ans)
août 1983, dans la Creuse, le paysan Maurice, Daniel Lefeuvre et Pierrot :
les trois sont morts aujourd'hui... et nous sommes là, à les pleurer
19 juillet 1985, Pierrot, avenue d'Iéna à Paris, chez un médecin homéopathe
(traitement sans résultats, malgré le prix de la consultation...!)
10 avril 2009, quatorze ans après Pierre, une même balade en bateau-mouche,
avec son petit frère Émile âgé de 5 ans aussi
13 avril 1986, avec son papa, et sa cousine Sabine chez les grands-parents maternels de Pierrot ;
j'adore le regard du fils sur le père...
19 juillet 1991, col des Marches, 2765 m ; au fond le lac de Bissorte ;
la petite fille était surnommée "Petite fleur des champs" et Pierrot, "Renard Flamboyant"
1er février 1995 21 h 00
Papa, STP, fais-moi un mot comme quoi jeudi soir je suis allé au théâtre avec le professeur de français [classe de 3e au collège Robespierre à Épinay]
et que l'on est rentré à minuit et demi. Donc le lendemain, je n'ai pu
aller en latin : 8 h 30 à 9 h 30 et en maths 9 h 30 à 10 h 30, pour
cause de fatigue. J'espère que tu me comprendras et que tu me feras un
mot, sinon tant pis.
Réveille-moi quand même demain à 5 h 30 pour le Ramadan, merci d'avance. Veuillez monsieur recevoir mes très sincères salutations distinguées et mes voeux de bonne année.
Au revoir et à demain 5 h 30 (du matin). Bonne nuit, ton fils qui t'aime.
Pierre
PS : ma première journée de ramadan s'est bien passée. J'en espère autant pour la seconde.
Réveille-moi quand même demain à 5 h 30 pour le Ramadan, merci d'avance. Veuillez monsieur recevoir mes très sincères salutations distinguées et mes voeux de bonne année.
Au revoir et à demain 5 h 30 (du matin). Bonne nuit, ton fils qui t'aime.
Pierre
PS : ma première journée de ramadan s'est bien passée. J'en espère autant pour la seconde.
août 1995, à Aubigné dans la Sarthe (le "blanc bec" qui passait son été à la Radio, c'était son père...
Il s'agissait de Radio France Maghreb dont j'étais le directeur d'antenne)
Il s'agissait de Radio France Maghreb dont j'étais le directeur d'antenne)
août 1995, à Aubigné dans la Sarthe
novembre 1995, avec Wassila et Pierrot, au bord du canal de l'Ourcq à Bobigny ;
Wassila était "ma nièce", elle vit heureuse aujourd'hui à Marseille et je sais qu'elle pleure aussi Pierrot
À
l’été 1997, je suis descendu à Marseille (du 19 août au 1er septembre).
Pierre avait été à Chamonix en juillet ; et fin août, il a vécu dans mon
appartement HLM de Bobigny, dans ces tours de béton et de cafards (!).
Il
m’a laissé un compte rendu de la semaine du lundi 25 août au dimanche
31 août. Il a noté tous les appels téléphoniques et ajouté cette
lettre :
Papa,
J’ai
arrosé les plantes un jour sur deux. J’ai décollé le papier du
couloir ; tes étagères sont dans ma chambre. Je n’ai pas trouvé de
serpillère mais j’ai passé l’aspiro dans la cuisine, l’entrée, le
couloir, la salle et ton bureau. J’ai nettoyé comme j’ai pu les dalles
au milieu du couloir pour pouvoir circuler.
J’ai
racheté un guidon pour le vélo de course ainsi que des poignées de
frein, à toi maintenant d’acheter le jeu de direction et le bloqueur
(200 F. en tout). J’irai les acheter avec toi à Décathlon.
J’ai
rangé ma partie de l’ordinateur et on gagne plus de 1 Mo, ça a été
long. Pour le fil électrique du couloir, je ramènerai peut-être un
cache.
Il faudrait sérieusement, voir sérieusement [penser] à finir la salle de bain. On n’est pas en guerre, pourquoi le carrelage a-t-il sauté ??!!
Tu
n’as plus de feuilles pour l’imprimante et je pense que tu as reçu une
mutation (c’est la première lettre de la pile «La Poste» . J’ai mis tes
disquettes d’ordinateur dessous pour ne pas qu’elles tombent.
Je dois partir ce soir, dimanche [31 août 1997] car ma carte Orange se finit.
À bientôt, Pierre
PS : IL FAUT FAIRE LES COURSES, et tu as la charmante compagnie des cafards ici !
à Aubigné (Sarthe), Noël 1999
Il me manque des photos pour la période 2000-2009. Je vais les retrouver...
Pierrot avec Nyssa qui l'appelait "Tonton", printemps 2009
Pierrot chez lui, au printemps 2009
Pierrot chez lui, au printemps 2009
Pierrot dans son appartement, au printemps 2009
Pierrot dans son appartement, au printemps 2009
Pierrot dans son appartement, au printemps 2009
Pierrot, les 16 et 17 mai 2009 (probablement le 17...) au Mans
(Sarthe), à l'occasion du Grand Prix de France Moto
(Sarthe), à l'occasion du Grand Prix de France Moto
________________________
le témoignage de mon ami, le philosophe Gérard Molina, sur Pierrot
En 2010 ou 2011, Pierre me demande un rendez-vous pour me parler de sa nouvelle activité [ACN]. Nous nous rencontrons dans un café cossu proche de la Gare de l’Est.
Il
revient de Hollande où il a participé à une brève formation au sein
d’une entreprise américaine qui tente de profiter des nouvelles normes
imposées par le Commission européenne. La mise en concurrence de tous
les services assurés jusqu’ici par des monopoles publics exige au
préalable que les usagers rompent leurs contrats pour se tourner vers
des prestataires privés.
Pierre
n’est pas vraiment informé de ces enjeux économiques globaux. Il a été
recruté par des amis qui lui ont assuré qu’il s’agissait d’un «deal»
gagnant-gagnant car les tarifs baisseront pour ceux qui délaisseront
France-Télécom, EDF, GDF, etc…
Mais le problème principal est ailleurs : Pierre et tous les autres recruteurs ne sont pas rétribués. Ils ne le seront, éventuellement,
que s’ils rapportent de nombreux contrats et si, à leur tour, ils
recrutent des recruteurs. L’entreprise est toujours gagnante avec sa
pyramide très hiérarchisée de «représentants» bénévoles qui doivent
impérativement persuader le maximum de connaissances.
Pour moi, le modèle se situe entre la vente à domicile et l’Église de Scientologie. Naturellement, cette représentation générale de l’entreprise ne m’apparaît pas d’emblée mais au fil d’une longue conversation amicale dans laquelle il ne me cache rien et détaille même le fonctionnement d’ensemble de l’affaire.
Pour moi, le modèle se situe entre la vente à domicile et l’Église de Scientologie. Naturellement, cette représentation générale de l’entreprise ne m’apparaît pas d’emblée mais au fil d’une longue conversation amicale dans laquelle il ne me cache rien et détaille même le fonctionnement d’ensemble de l’affaire.
Cette
honnêteté, dont je ne doutais pas, me frappe toutefois par sa netteté.
Même s’il est déçu, il ne comprend pas mon refus qui sera répété par la
majorité des personnes qu’il contactera.
Cependant,
je ne veux pas en rester là, car j’ai découvert un Pierrot que je ne
soupçonnais pas. J’avais connu un adolescent un peu sauvage, taiseux,
souvent sur ses gardes, peut-être méfiant vis-à-vis de la parole des
adultes. Je découvre un jeune homme posé et rigoureux.
Il
s’exprime très bien, avec des phrases très construites et une
argumentation réfléchie. Loin de se buter devant les questions ou les
remarques critiques, il sait écouter, peser les objections et choisir
les réponses rationnelles qui pourraient convaincre. Il est en outre très
élégant avec son costume, sa chemise blanche et sa cravate, tenue que
je ne lui avais jamais connue.
alliance de l'intégrité et du caractère
Par-dessus tout, je suis saisi par sa détermination, sa volonté, l’énergie qu’il dégage, tout cela couplé avec la franchise et la probité déjà mentionnées.
Devant
cette alliance de l’intégrité et du caractère, je me surprends à lui
faire une proposition à laquelle je ne songeais nullement avant cette
rencontre.
Après lui avoir répété qu’il se fourvoyait dans l’entreprise américaine, je lui dis qu’il possède l’étoffe d’un créateur d’entreprise, qu’il a déjà de l’expérience professionnelle dans plusieurs domaines et que s’il a un projet, je suis prêt à l’aider financièrement et même à entraîner d’autres personnes avec moi.
Après lui avoir répété qu’il se fourvoyait dans l’entreprise américaine, je lui dis qu’il possède l’étoffe d’un créateur d’entreprise, qu’il a déjà de l’expérience professionnelle dans plusieurs domaines et que s’il a un projet, je suis prêt à l’aider financièrement et même à entraîner d’autres personnes avec moi.
Il
refuse immédiatement et j’interprète mal ce refus. Je crois qu’il pense
à une sorte de gracieuseté pour compenser mon propre refus. Je précise
alors qu’il s’agit d’un prêt à quelqu’un qui a toutes les qualités pour
réussir et en qui chacun a confiance.
En
réalité, il a très bien compris. Mais il veut absolument s’en sortir
par lui-même, sans l’aide de quiconque au départ. Il a toujours
fonctionné ainsi depuis l’adolescence.
Je comprends alors que c’est le carburant de son dynamisme et ce qui lui fait appréhender chaque journée comme un défi. Ce fut une leçon pour moi.
Je comprends alors que c’est le carburant de son dynamisme et ce qui lui fait appréhender chaque journée comme un défi. Ce fut une leçon pour moi.
Les
épigones de G. Orwell croient encore que la «décence commune» constitue
l’attitude populaire la plus répandue. C’était vrai du temps des
entreprises industrielles et d’une vie collective enracinée.
À notre époque de la précarité généralisée et des individualismes manipulés, la seule richesse de ceux qui n’ont rien, qui ne seront jamais des héritiers, c’est la fierté. C’est-à-dire le sentiment de sa dignité et de sa valeur fondée sur la droiture dans les relations humaines.
Pour se tenir sur cette crête, dans toutes les situations, il faut une sacrée fermeté d’âme. Malgré tous les revers de l’existence et toutes les tentations, je crois que Pierre s’y efforçait.
À notre époque de la précarité généralisée et des individualismes manipulés, la seule richesse de ceux qui n’ont rien, qui ne seront jamais des héritiers, c’est la fierté. C’est-à-dire le sentiment de sa dignité et de sa valeur fondée sur la droiture dans les relations humaines.
Pour se tenir sur cette crête, dans toutes les situations, il faut une sacrée fermeté d’âme. Malgré tous les revers de l’existence et toutes les tentations, je crois que Pierre s’y efforçait.
Gérard Molina
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Pierrot : quelques messages téléphoniques à son papa
Je
n'ai conservé que quelques messages de mon fils Pierre. Les messages
sont enregistrés sur le téléphone et non sur la carte Sim. Donc quand le
téléphone lâche, les message sont perdus. Quelques messages
naufragés...
- le 10 novembre 2012, à 4 h 14 : "Papa, je t'aime".
- un autre jour de novembre 2012, à 15 h 10
: "Papa, appelle-moi s'il te plaît. Comment ça se passe ? Tu es dans
mon coeur à jamais gravé comme le meilleur des pères et je n'en aurais
jamais rêvé d'un autre que toi. Je suis le plus fier de tous les fils et
je n'ai jamais aimé quelqu'un plus que toi. Prends soin de toi et de
nous pendant encore longtemps. Ton fils adoré. Pierrot."
-
le 11 novembre 2012, à 0 heures 41 mn : "Papa, tout va trop vite en ce
moment. J'aimerais passer du temps avec toi. Je bosse jusqu'à dimanche
et après je viens te voir. As-tu repris les cours lundi matin ? S'il te
plaît, appelle-moi, je t'aime fort".
- le 20 novembre 2012, à 18 h 49 : "ok, salut".
- le 17 décembre 2012, à 9 h 44 : " Salut papa, ça a été ton week end, tu fais quoi pour Noël ?"
En 2010, Pierrot réalise une toile sur cadre avec le prénom de son père, en graphie arabe (il en a fait deux ans au lycée) et me l'offre :
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Pierrot et l'escalade
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Un copain de Pierrot, Romain Le Moigne, a retrouvé cette photo parue dans le magazine Grimper en 2001. Il écrit sur la page Fb de Pierre : "on avait fait une série de photos d'escalade urbaine (sur des vrais passages intéressants d'escalade, pas juste pour prendre la pose!), la photo de Pierre avait été sélectionnée parmi les huit gagnantes... Entre autres accomplissements..." (1er décembre 2014).
Romain a aussi publié cette photo du mur d'escalade que Pierrot avait installé dans sa chambre à Épinay.
Voilà ce qu'il écrit : "cette photo date de 2000, lors d'une des très très nombreuses séances d'escalade que j'ai faites chez un ami qui avait construit ce mur inclinable dans sa chambre. C'est la période où j'ai le plus progressé en escalade ! Poussière, sueur, énervements, coups dans les murs, joies, rap à fond & fous rires... Que de bons souvenirs !"
Voilà ce qu'il écrit : "cette photo date de 2000, lors d'une des très très nombreuses séances d'escalade que j'ai faites chez un ami qui avait construit ce mur inclinable dans sa chambre. C'est la période où j'ai le plus progressé en escalade ! Poussière, sueur, énervements, coups dans les murs, joies, rap à fond & fous rires... Que de bons souvenirs !"
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aventures et oeuvres d'un graffeur
Pierre était un graffeur. Le mot vient de graff,
diminutif de graffiti. Longtemps de connotation péjorative, et de
statut illégal, le graffeur est un peintre qui calligraphie ou dessine
sur un support la plupart du temps non destiné à cet effet. Son outil
principal est la bombe de peinture aérosol. Mais il peut aussi utiliser
la peinture en pot notamment pour aménager un fond sur un substrat
dégradé.
Si
il a peint sur des trains de la région Nord de la région parisienne,
Pierrot a ensuite cherché des surfaces plus vastes, particulièrement
dans des zones industrielles désaffectées ou des bâtis abandonnés.
texte de Pierrot sur ses débuts dans le graff
Je
me souviens d'un temps où régnait le chaos, un temps de nuits blanches,
de peintures et de coursades. Un temps de "pt'i gris" (métros, RER A,
B, C, D, E, TER et Interails), de repérages, de dépôts, et d'ateliers de
photos et de vidéos.
Mais
par-dessus tout, je me souviens du guerrier, l'homme que nous appelions
Max. Le personnage est débordant d'énergie. C'est grâce à lui que j'ai
peint la Nord. Pour comprendre cet homme, il faut revenir à une autre
époque. À cette époque le graffiti me désociabilise. J'adopte alors un
rythme de vie totalement déstructuré. Je profite de ne pas avoir de
responsabilités pour vivre ma passion.
Seuls
ceux qui ont vu tourner leur nom sur un train peuvent comprendre cette
sensation. À chaque fois que tu vas peindre, tu risques de te faire
serrer pour tout ce que tu auras fait auparavant, ton panel a donc
d'autant plus de valeur quand tu ne fais que ton nom.
Quand
ton train arrive à quai, Gare du Nord, c'est le choc des deux mondes.
Le choc entre notre monde que personne ne comprend et celui de la masse
populaire qui va au boulot. Tous ces gens utilisent les trains pour
aller bosser. Nous, nous les peignons.
Le
plus beau des supports, ces petits gris, ils ont une âme comme tu dis.
Ils ont une histoire, racontée par les hauts de caisse non effacés. Ces
fameux hauts de caisse que je te vois faire à chaque fois qu'on va
peindre, tu veux tous les faire, je dois courir dans le dépôt pour les
faire avant toi. De toutes les couleurs, ils sont les souvenirs
ineffaçables des œuvres que la SNCF ne veut pas faire tourner. Tu
écriras un jour sur un métro : "Plus tard, ce sera de l'art". Ça l'est
déjà pour nous.
Et
peu importe le résultat de la peinture, les valeurs d'amitié que l'on
partage sont bien plus fortes. Et pour être sûr de peindre de mieux en
mieux, notre collaboration reposait sur une règle simple : je trace et
tu remplis. Les plus belles pièces, on les a faites tous les deux.
Chaque WC [wild child : l’enfant sauvage] qu'on peignait avait une vraie signification pour moi. La notion de groupe je l'ai apprise avec toi.
Pierre Renard, 1980-2014
Dans sa quête d'espaces plus grands pour ses créations, Pierrot a fréquenté les sites industriels laissés en friches. Il en a trouvé évidemment en Seine-Saint-Denis - où il habitait - et à Saint-Chamond quand il venait me voir.
À
regarder ces photos, je devine - peut-être en extrapolant... - que
Pierrot avait de multiples curiosités. Quand il allait peindre dans un
local des anciennes Aciéries de la Marine devenues Giat, il prenait en
photos ses peintures mais également le site, son architecture, certains
détails des activités qui avaient mobilisé les hommes ici. Il y avait un
respect de l'ouvrier dans son esprit.
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la mort de Pierre
l'accident, 12 octobre 2014
Pierrot
a quitté son domicile, rue de l'Avenir à Épinay-sur-Seine, le dimanche
12 octobre 2014, un peu après 19 heures 30, pour se rendre chez sa mère à
Saint-Gratien.
Il
roulait à moto, à petite vitesse (moins de 50 km/h).
Une voiture sur la voie opposée s'apprêtait à tourner sur sa gauche pour entrer dans un parking dont le conducteur ouvrait la grille à l'aide d'un bip. Il a laissé passer deux voitures puis s'est avancé au moment ou Pierre, phare allumé, arrivait à sa hauteur (...!!!).
Pierrot a percuté le véhicule sur son avant et a été violemment projeté au loin, sa tête (casquée) a touché le sol en premier. Il était 19 heures 45.
Une voiture sur la voie opposée s'apprêtait à tourner sur sa gauche pour entrer dans un parking dont le conducteur ouvrait la grille à l'aide d'un bip. Il a laissé passer deux voitures puis s'est avancé au moment ou Pierre, phare allumé, arrivait à sa hauteur (...!!!).
Pierrot a percuté le véhicule sur son avant et a été violemment projeté au loin, sa tête (casquée) a touché le sol en premier. Il était 19 heures 45.
lieu de l'accident, 110 avenue d'Enghien à Épinay-sur-Seine : Pierrot roulait à droite et une voiture,
venant en sens opposé, lui a coupé la route en tournant sur sa propre gauche...!
L'enquête
a établi la culpabilité évidente du véhicule. Son conducteur est un
homme de 74 ans, qui est incapable d'expliquer ce qui s'est passé... Il a
tout ce même été en mesure d'appeler son gendre au téléphone pour venir
photographier les conséquences de l'accident sur le devant de son
véhicule...!!
Pierrot
était déjà dans le coma quand le Samu, appelé par les pompiers de
Saint-Denis, est arrivé. Son corps était quasiment indemne. Mais
l'examen à l'hôpital a montré de très graves traumatismes crâniens, des
lésions irréversibles et du sang dans les poumons. Il n'est jamais sorti
du coma.
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les dix jours de coma et de soins à l'hôpital, octobre 2014,
unité de réanimation-chirurgicale et de traumatologie (réa-chir)
photo censurée
Pierrot, le 14 octobre 2014, moins de 48 heures après l'accident
Pierrot, le 14 octobre 2014, moins de 48 heures après l'accident
Pierrot
a lutté pour sa vie. Son corps a résisté. Je ne sais si l'esprit se
manifeste d'une manière quelconque dans le coma. Mais à être présent à
ses côtés, on avait le sentiment d'une force qui usait de tous ses
recours pour rester du côté de l'existence.
Pierre
a toujours combattu pour obtenir ce qu'il cherchait dans ce monde.
Cette énergie s'est déployée lors de cette ultime épreuve.
Je
n'ai pas d'hésitation à regarder ces photos. Mon fils se bagarre pour la
vie dans un lit d'hôpital. Je le trouve beau et digne. Même si je suis
immensément et définitivement triste.
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la mort le 22 octobre 2014
Son cerveau a cessé de fonctionner. Cela veut dire qu'il est mort. Vers douze heures trente.
Mais son activité cardiaque est maintenue en attente de la décision des parents sur le don d'organe.
J'ai caressé et embrassé le corps de mon fils mort. J'ai pleuré sur lui. J'ai ôté les cotons sur ses yeux pour contempler une dernière fois son regard mi-clos, ses yeux bleus.
Le soir, sa mère et moi avons décidé d'accepter le don d'organes. Pierrot a donc donné son coeur, ses poumons, son foie, ses deux reins à des malades qui en avaient besoin. L'opération a duré presque douze heures. Il a aidé cinq personnes à survivre.
J'ai caressé et embrassé le corps de mon fils mort. J'ai pleuré sur lui. J'ai ôté les cotons sur ses yeux pour contempler une dernière fois son regard mi-clos, ses yeux bleus.
Le soir, sa mère et moi avons décidé d'accepter le don d'organes. Pierrot a donc donné son coeur, ses poumons, son foie, ses deux reins à des malades qui en avaient besoin. L'opération a duré presque douze heures. Il a aidé cinq personnes à survivre.
Je
n'ai pas de réticence, là aussi, à publier ces photos. Je trouve mon
fils fort, et cette force est un défi à la mort qu'il lance dans ces
derniers moments. Je suis fier de lui, jusqu'au bout. Et je l'aime
par-delà sa mort.
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le cercueil à l'Institut médico-légal (Paris, quai de la Rapée)
5 novembre 2014
photo censurée
la dépouille de Pierrot, mort depuis deux semaines, dans une pièce de l'Institut médico-légal
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obsèques au crématorium de Villetaneuse/les Joncherolles Épinay
(Seine-Saint-Denis), 5 novembre 2014
obsèques au cimetière d'Épinay (Seine-Saint-Denis)
5 novembre 2014
photo censurée
l'urne funéraire contenant les cendres de Pierrot, déposée dans une case du colombarium
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l'hommage à Pierrot de ses copains graffeurs
l'hommage de deux amis graffeurs à Pierrot, le 6 novembre 2014, lendemain des obsèques,
la chanson de Renaud : chanson pour Pierrot
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fresque d'hommage de ses copains graffeurs à Pierrot
29 et 30 novembre 2014 (Seine-Saint-Denis)
Vous
l'avez fait ! Merci. J'ai eu du mal, longtemps, à lire cette graphie.
Pierrot m'a expliqué, quelques fois. Et maintenant, je comprends mieux.
En revenant de Paris, après ses obsèques, je ne cessais de regarder par
la fenêtre du train toutes les peintures. Dans mon chagrin, je croyais
voir SPYN partout...
Ce que vous avez réalisé est magnifique d'esthétique, d'imagination, d'amitié, de fidélité. Je sais votre chagrin aussi. "À jamais gravé dans nos mémoires".
Ce que vous avez réalisé est magnifique d'esthétique, d'imagination, d'amitié, de fidélité. Je sais votre chagrin aussi. "À jamais gravé dans nos mémoires".
le papa de Pierrot
1er décembre 2014
1er décembre 2014
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autres hommages
photo de JEer Page, graff de ENKA, fresque RIP SPYN, 29/30 novembre 2014
(page Fb de Fleur Essence, 6 décembre 2014)
Ma
dernière soirée en France en 2009, une fois de plus tu étais comme en
2004. Le dernier avec Lolo à pas vouloir dire au revoir. Aujourd'hui tu
dis ton dernier salut. Les potos sont là pour moi. Malheureusement, je
peux pas être là. Alors je te dis au revoir du bout du monde. Tu seras
pas là quand je reviendrai, tu seras pas là pour être tonton de mes
futurs gosses. Mais sache que pour moi tu seras toujours là. Les
conseils, les engueulades, les accolades, les "wesh l'animal" je ne les
oublierai pas. Repie mon poto, mon acrobate. PIERRE RENARD aka SPYN — Richy avec Laurent D-Oz.
5 novembre 2014
Une
semaine dejà que tu es parti. J'ai voulu faire un chrome pour toutes
les autoroutes, voies, rues et tunnel, que l'on a fait ensemble. Le M7
rose de United c'est pour le jour où tu m'as sauvé la vie à La
courneuve/Aubervilliers. Le M5 orange c'est pour mon premier tunnel en
circu à Jacque Bonsergent avec toi évidemment. Le sandi Bleu c'est pour
ce trip avec Juju à Marseille, 3 échelles sur la super 5. Le bleu clair
(Varenne de United) c'est pour Pte de Clichy et notre M13 bien aimé, le serrage des UMC et comment tu étais là direct pour soeur à vouloir nettoyer ma chambre.
Poto,
j'ai tellement mal que tu sois parti que j'ai envie de taper sur un mur
à m'en péter la main. Tu m'as fait passer du toy au writer et je t'en
serai à jamais reconnaissant. Cécile m'a dit quand elle a appris la
nouvelle que ce qui est beau c'est que y'a un peu de toi dans chacune de
mes pièces, comme cela tu seras toujours là. À bientot mon repie, mon
poto, mon mentor, mon ami et mon refre. BS for life
Richy, 29 octobre 2014
En cherchant sur internet, je découvre une foule de graffs en hommage à Pierrot, "Spyne" (ou "Spyn"). Je suis bouleversé que sa disparition ait fait réagir tant de ses copains.
On peut lire : "on pense tous très fort à toi mon pierrot ! veille sur nous et repose en paix !" Et encore : "Où que tu sois, quoi que tu fasses, rien ne t'efface, on pense à toi !!"
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quelques mots de Pierre
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quelques messages
L'un
des plus sublimes et plus lucides messages m'a été adressé par Adrien,
ancien élève de 2e au lycée, aujourd'hui étudiant en Droit à Lille :
- "Crois moi Michel, on n’oublie jamais vraiment et c'est pas faute d'avoir essayé...
Les
photos, anniversaires morbides, et touchants articles que tu as écrits
te fendront le cœur à chaque fois qu'ils en auront l’occasion.
Cependant pour ta santé mentale (celle
de tes proches aussi), il faut que tu acceptes ta propre impuissance
dans cette tragédie. Cultiver la haine envers la fatalité n'a jamais été
qu'un éreintant combat perdu d'avance.
Ce
que j'essaye de te dire n'est pas de "passer à autre chose", occulter
ce genre de drame, le noyer dans l'alcool ou que sais-je, revient en
définitive à mettre le tas de poussière sous le tapis.
Laisse-toi
le temps, continue à exprimer ta peine, surtout si ça te soulage mais
un jour il faudra bien que tu le laisses partir..."
________________________
après...
- le samedi 24 janvier 2015
Mon fils Émile a joué, en ligne apparemment, à un jeu vidéo dans lequel
il a adopté le surnom de "Spyn" qui était la signature de graffeur de
son grand frère, mort le 22 octobre dernier, à l'âge de 34 ans...
J'ai aimé cette fidélité spontanée.
Un jour, Pierrot, "Spyn", avait peint sur une petite voiture d'Émile sa signature.
Sans rien dire à personne, Émile l'a reprise...
J'ai aimé cette fidélité spontanée.
Un jour, Pierrot, "Spyn", avait peint sur une petite voiture d'Émile sa signature.
Sans rien dire à personne, Émile l'a reprise...
une petite voiture d'Émile que son grand frère Pierrot (1980-2014)
avait un jour repeinte de sa signature de graffeur (Spyn)...
avait un jour repeinte de sa signature de graffeur (Spyn)...
Pierrot et son petit frère Émile, en 2009, à Paris
un graff de Pierrot sur les "gris" de la Gare du Nord à Paris, au début des années 2000
Ce blog est magnifique, le monde du graff n'oublie jamais, votre fils sera toujours la..
RépondreSupprimerToutes mes pensées vont vers vous.
Un etranger
J'ai connu Pierre à la fac de sport de Bobigny on était dans la même classe il était impressionnant de force de maîtrise musculaire de calme et de sérénité. Il m'a fait découvrir Spyn qui m'a suivi partout dans le 93 j'ai jamais cessé de penser à lui en le croisant au ptit bonheur la chance un peu (beaucoup) partout.
RépondreSupprimerJ'ai vu le Graf sur le canal aujourd'hui. Merci pour votre blog
J'ai connu Pierre à la fac de sport de Bobigny en 1999. Il etait impressionnant de force et de maîtrise musculaire de calme et de sérénité. En cours d'année j'ai découvert SPYN qui m'a accompagné plus tard partout dans le 93. Je pensais très souvent à lui le croisant un peu ( beaucoup) partout au ptit bonheur la chance. J'ai vu le Graf ce matin sur le canal. Je vous remercie pour ce blog
RépondreSupprimerJoseph